L’IEEPI donne la parole à ses experts : Aujourd’hui, Marc-Antoine Picquier (Avocat au barreau de Paris) nous propose un éclairage pratique et synthétique sur :
<h2>Les principaux enjeux du droit de la concurrence</h2>
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Marc-Antoine Picquier, avocat au barreau de Paris et fondateur du cabinet Picquier Avocat, intervient en droit de la concurrence, de la distribution et de la consommation. 
Il propose ici un éclairage pratique et synthétique sur les principaux enjeux du droit de la concurrence. 
Les thèmes abordés couvrent aussi bien les principes fondamentaux de la concurrence que les pouvoirs d’investigation des autorités, ainsi que les nouveaux défis posés par le développement durable, le marché du travail et l’intelligence artificielle. Il présente également un point d’attention particulier sur les accords « pay for delay » et les pratiques de prix prédateurs, avec un focus spécifique sur le secteur pharmaceutique.
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<h3>Quels sont les principes fondamentaux du droit de la concurrence en Europe ?</h3>
Le droit de la concurrence repose principalement sur les articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). L’article 101 TFUE prohibe les accords, décisions ou pratiques concertées qui ont pour objet ou pour effet d’entraver, restreindre ou fausser la concurrence à l’intérieur du marché intérieur. Cela recouvre les ententes, qu’elles portent sur la fixation de prix, le partage de marché ou encore les limitations de production. L’article 102 TFUE vise l’abus de position dominante : une entreprise détenant une position dominante sur un marché ne doit pas l’exploiter pour exclure ses concurrents ou imposer des conditions déloyales. En France, ces principes sont repris et adaptés dans le Code de commerce, notamment à travers les articles L. 420-1, qui prohibe les ententes, et L. 420-2, qui sanctionne l’abus de position dominante.
D’autres textes essentiels organisent également la matière. Les règlements européens jouent un rôle fondamental dans la mise en œuvre du droit de la concurrence. Par exemple, le règlement (UE) n°1/2003 encadre la procédure d’application des règles de concurrence, tandis que le règlement (UE) 2022/720 fixe le régime d’exemption par catégorie pour les accords verticaux. La jurisprudence, tant européenne que nationale, affine constamment la portée de ces dispositions et adapte leur application aux réalités économiques. Enfin, la « soft law » occupe une place croissante dans le paysage concurrentiel : communications, lignes directrices recommandations, avis de la Commission européenne. Par exemple, récemment, l’Autorité de la concurrence a mis en place un dispositif d’orientation informelle pour aider les entreprises à vérifier si leurs projets de développement durable respectent les règles de concurrence, en leur fournissant un avis « informel » sur la conformité de leurs initiatives.
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<h3>Quels pouvoirs d’investigation pour les autorités de concurrence découlent de ces textes ?</h3>
Les autorités de concurrence disposent de pouvoirs étendus d’enquête afin de détecter et sanctionner les pratiques anticoncurrentielles. Tant au niveau européen que national, les autorités de concurrence peuvent notamment procéder à des inspections inopinées (« dawn raids ») dans les locaux d’entreprises et saisir tout document ou support d’information utile.
Ces pouvoirs ont été renforcés par la loi du 3 décembre 2020 et par les évolutions introduites dans le plan stratégique 2025-2028 de la DGCCRF qui prévoit en effet un renforcement des moyens d’investigation, notamment par le recours accru aux outils numériques, à l’intelligence artificielle et à la coopération internationale, afin de mieux détecter et sanctionner les pratiques anticoncurrentielles.
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<h3>Quelles évolutions notables constate-t-on en droit de la concurrence au cours des dernières années ?</h3>
Il n’y a pas de grandes réformes ou de modifications d’ampleur récentes en droit de la concurrence. Toutefois, il faut noter des évolutions dans le cadre d’analyse de certaines pratiques ou de certains projets.
1) Tout d’abord, le développement durable est progressivement reconnu comme un paramètre de concurrence. La Commission européenne, dans ses lignes directrices sur les accords de coopération horizontale (2023/C 259/01) encourage les accords en faveur de la durabilité dès lors qu’ils produisent des gains d’efficacité et des bénéfices vérifiables pour les consommateurs. Toutefois, ces accords doivent rester proportionnés et ne pas restreindre indûment la concurrence. Ainsi, un équilibre doit être trouvé entre objectifs écologiques et préservation du jeu concurrentiel.En France, l’Autorité de la concurrence a publié en mai 2024 un communiqué instituant une procédure d’orientations informelles à destination des entreprises s’interrogeant sur la compatibilité de leurs projets de développement durable avec les règles de concurrence. Par cette démarche, elle propose un accompagnement pragmatique et offre un cadre souple permettant aux acteurs économiques d’obtenir une appréciation préalable sur leurs initiatives, tout en veillant à préserver une concurrence effective.
2) Les autorités de concurrence portent par ailleurs une attention accrue au marché du travail. Les premières décisions majeures en la matière ont été rendues récemment. En 2024, la Commission européenne a sanctionné les sociétés Delivery Hero et Glovo à hauteur de 414 millions d’euros pour avoir mis en place des clauses de non-sollicitation et échangé des informations sensibles, pratiques qualifiées de restrictions « par objet » au sens de l’article 101 TFUE.En France, l’Autorité de la concurrence a condamné en 2025 plusieurs sociétés d’ingénierie, dont Alten, Expleo et Bertrandt, à un total de 29,5 millions d’euros d’amende en raison d’accords de non-sollicitation limitant la mobilité des salariés. Ces décisions illustrent une tendance confirmée par la Commission européenne et l’OCDE, qui considèrent les ententes de non-débauchage et la fixation de salaires comme des infractions graves au droit de la concurrence.
3) Enfin, l’émergence de l’intelligence artificielle constitue une évolution majeure pour le droit de la concurrence, appelée à profondément transformer les pratiques et l’analyse concurrentielle dans les années à venir. Si les autorités de concurrence s’intéressent depuis plusieurs années à l’impact des nouvelles technologies – qu’il s’agisse de la blockchain ou, auparavant, des données personnelles – l’IA soulève aujourd’hui des enjeux très intéressants. Les ententes algorithmiques, qui désignent les coordinations anticoncurrentielles facilitées par l’utilisation d’algorithmes, peuvent résulter d’une programmation délibérée (cartels intelligents) ou d’une convergence tacite, rendue possible par la transparence accrue des prix en ligne. Ce phénomène accroît le risque de maintien artificiel de prix élevés ou de coordination sans contact humain explicite, complexifiant la détection et la preuve.Par ailleurs, l’IA offre de nombreux avantages aux entreprises – amélioration de l’efficacité opérationnelle, personnalisation des services, optimisation des coûts, innovation – et tend à devenir un nouveau paramètre essentiel de la concurrence, au même titre que le prix ou la qualité. Les autorités de concurrence commencent à intégrer cette dimension dans leurs analyses, notamment en ce qui concerne l’accès aux données et la puissance de calcul, mais les contours de cette évolution restent à préciser et feront l’objet d’un suivi attentif dans les prochaines années.
« Focus Pharma » 
Le secteur pharmaceutique concentre aujourd’hui l’attention des autorités de concurrence, en raison de la sensibilité particulière des pratiques susceptibles d’entraver l’accès aux médicaments et d’affecter les prix. Deux problématiques majeures s’en dégagent : les accords « pay-for-delay » et les stratégies de prix prédateurs, qui font l’objet d’une surveillance renforcée et d’une jurisprudence abondante.
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<h3>Qu’est-ce qu’un accord de « pay-for-delay » ? Pourquoi est-il sanctionné ?</h3>
Un accord de « pay-for-delay » (ou reverse payment settlement) se rencontre lorsqu’un laboratoire titulaire d’un brevet verse une compensation financière à un fabricant de génériques afin de différer l’entrée de ce dernier sur le marché. La Cour de justice de l’Union européenne a confirmé, dans les affaires Lundbeck (2021) et Servier (2024), que de tels accords pouvaient constituer des restrictions de concurrence « par objet ».
L’affaire Teva/Cephalon en fournit une illustration emblématique : la Commission européenne a infligé en 2024 des amendes totalisant 60,5 millions d’euros à ces deux entreprises pour s’être accordées afin de retarder la commercialisation du générique du modafinil, médicament phare de Cephalon contre la narcolepsie. Cephalon a ainsi offert à Teva des paiements et des avantages commerciaux en échange de son engagement à différer l’entrée de son générique sur le marché et à ne pas contester certains brevets secondaires.
La Commission a considéré que cet accord avait permis à Cephalon de maintenir artificiellement des prix élevés, privant patients et systèmes de santé de médicaments plus abordables. Elle a souligné que, même sous couvert d’un règlement amiable de litige en matière de brevets, un tel accord constitue une infraction grave aux règles de concurrence (article 101 TFUE), dès lors que la valeur transférée au génériqueur a pour unique objet ou effet d’acheter son retrait du marché.
De manière générale, de tels accords sont sanctionnés car ils retardent l’arrivée des génériques, empêchent la baisse des prix pouvant atteindre jusqu’à 90 %, et portent atteinte à l’innovation en décourageant la recherche de nouveaux médicaments.
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<h3>Quelle est la définition et les enjeux des prix prédateurs ?</h3>
Un prix prédateur est un prix fixé artificiellement bas, souvent en dessous des coûts, afin d’évincer les concurrents du marché. La jurisprudence européenne (aff. AKZO, C-62/86) impose de démontrer, d’une part, que les prix pratiqués sont inférieurs aux coûts variables ou moyens, et d’autre part, que l’entreprise a la capacité de compenser ses pertes une fois la concurrence éliminée.
Ce type de pratique est difficile à établir car il requiert une analyse économique approfondie. Les risques sont accrus dans l’économie numérique où les algorithmes peuvent faciliter des stratégies de tarification prédatrices automatisées.
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En définitive, le droit de la concurrence demeure un instrument essentiel de régulation du marché intérieur, garantissant à la fois l’efficacité économique et la protection des consommateurs. Son spectre d’intervention est de plus en plus large, couvrant désormais des domaines tels que le développement durable, le marché du travail ou l’intelligence artificielle, ce qui témoigne de sa capacité d’adaptation aux transformations économiques et technologiques. Les entreprises doivent ainsi veiller à intégrer ces évolutions dans leurs stratégies commerciales et leurs pratiques de conformité, dans un contexte où les autorités de concurrence exercent un contrôle toujours plus attentif. Les prochaines années permettront d’observer comment ces nouveaux enjeux façonneront la politique concurrentielle européenne.

Droit de la concurrence et concurrence déloyale : nouveaux terrains du contentieux à l’ère de l’lA

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