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Fraude et évasion fiscale : votre PI scrutée à la loupe ? – Paroles d’experts

Publié le jeudi 16 novembre 2017
e nouveau régime de faveur applicable aux brevets et aux droits de propriété industrielle assimilés. Fraude et évasion fiscale : votre PI scrutée à la loupe ?

Pour aller plus loin, l’IEEPI et Terence Wilhelm vous proposent la formation suivante :


 

Paroles d’experts : Terence Wilhelm.

L’IEEPI donne la parole à ses experts, aujourd’hui Terence Wilhelm, Avocat et fondateur du cabinet CARA Société d’Avocats, en charge du département fiscalité internationale et prix de transfert.

Il nous propose une analyse sur :
La propriété intellectuelle : la nouvelle cible des administrations fiscales

Depuis quelques années maintenant, les États ont fait de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale une priorité. Les deux crises financières mondiales que nous avons connues coup sur coup en 2008 et 2010 ont non seulement conduit les États à fortement puiser dans leur trésorerie, mais ont également renforcé le sentiment de défiance jusqu’alors assez diffus vis-à-vis des acteurs économiques. Tous les secteurs et toutes les transactions ont depuis fait l’objet d’une attention croissante de la part des administrations fiscales. Parmi celles-ci, on dénote une forte augmentation des contrôles portant spécifiquement sur les opérations impliquant des éléments de propriété intellectuelle.

 

Pourquoi ces transactions en particulier suscitent-elles l’engouement des administrations fiscales ?

Les éléments de propriété intellectuelle constituent de formidables outils d’optimisation fiscale. Non seulement ils bénéficient dans de nombreux pays de régimes de faveur (par exemple en Irlande, ou la rémunération de brevets, d’invention brevetable ou de logiciels est taxée au taux de 6,25% ; même en France, où les cessions ou concessions de brevets ou d’inventions brevetables sont taxées au taux de faveur de 15% pour les sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés¹), mais compte tenu de leur nature, ils jouissent d’une facilité de transmission et de relocalisation, permettant justement de les loger dans les États les plus accueillants et donc d’en tirer le maximum d’avantages fiscaux. La valeur de certaines entreprises est parfois principalement constituée d’éléments de propriété intellectuelle. Prenez le secteur pharmaceutique ou du digital par exemple. Une localisation propice des éléments de PI et une structuration des flux bien pensée (sans d’ailleurs être nécessairement complexe) peut aisément conduire à réduire très significativement le taux d’impôt payé au global.

 

Les statistiques montrent que cela n’a pas toujours été le cas. Qu’est-ce qui a changé ?

Il est vrai que la sphère de la propriété intellectuelle a pendant longtemps échappé à l’acuité des administrations fiscales en raison de sa complexité et de ses spécificités intrinsèques. Parce qu’elle est par essence immatérielle, cette discipline qui relève d’un droit propre a certes toujours intrigué les fiscalistes et les inspecteurs des impôts, mais ceux-ci étaient davantage focalisés sur les transactions marchandes plus classiques, telles les ventes de biens et de services, statistiquement plus nombreuses et plus accessibles dans leur compréhension. Cette tendance s’est cependant profondément modifiée ces dernières années pour trois raisons fondamentales : la première est simplement mathématique. On observe en effet une nette augmentation des éléments de propriété intellectuelle dans la sphère économique. Dans une économie globalisée, la clé du succès d’une entreprise dépend plus fortement qu’avant de sa capacité à développer, acquérir et maîtriser des éléments différenciants permettant de se distinguer de ses concurrents. Or ces éléments vont naturellement se cristalliser autour de marques, de brevets, ou de savoir-faire. La seconde raison est organique. Ces éléments de propriété intellectuelle sont intrinsèquement porteurs de valeur ajoutée ce qui est, pour un fiscaliste, un autre terme pour désigner l’impôt, immédiat ou latent. Savoir identifier et appréhender cette valeur permet donc de s’assurer une ressource. Enfin, il est à noter que les administrations fiscales ont développé une véritable expertise, en capitalisant sur les nouveaux arsenaux législatifs (notamment de nouvelles obligations déclaratives et documentaires à la charge du contribuable ; le fichier des écritures comptables ; l’obligation de communiquer la comptabilité analytique, etc…) et en se dotant de moyens techniques aboutis pour mieux appréhender les situations propres à chaque entreprise.

 

Peut-on parler d’une exception française ?

Absolument pas. Au contraire, on pourrait même considérer que la France est plutôt suiveuse en ce domaine. Les pays anglo-saxons, particulièrement les États-Unis, plus libéraux et inventifs en matière fiscale, tentent depuis longtemps d’appréhender plus efficacement les revenus tirés d’opérations impliquant des éléments de propriété intellectuelle. On pourrait citer en ce sens les rectifications opérées par l’IRS, l’administration fiscale américaine, à l’encontre de la filiale du groupe Glaxo Smith Kline entre 2001 et 2005. Celle-ci considérait en effet que le paiement des redevances pour l’utilisation de marques et de brevets étaient indu et que la propriété économique de ces actifs devait être considérée comme détenue aux États-Unis. A l’issue d’une longue bataille judiciaire, le groupe a finalement accepté de payer la somme record de 3,4 milliards de dollars à titre de transaction. Depuis, le mouvement est devenu quasi-planétaire : l’OCDE a été mandatée en 2013 par les États du G20 pour plancher sur un plan d’actions visant à « lutter contre l’érosion des bases taxables et le transfert de bénéfice ». Ce plan d’action, connu sous son acronyme anglo-saxon de « BEPS », se décline en 15 initiatives². Ne nous y trompons pas, il s’agit là d’une réelle révolution sur le plan fiscal. Même si l’OCDE n’est pas un organe législatif, plusieurs de ces actions ont d’ores et déjà été adoptées et intégrées dans l’arsenal juridique de plusieurs pays, en ce y compris la France. Au titre de ce plan d’actions, deux visent tout particulièrement la sphère de la propriété intellectuelle. Il s’agit en l’espèce des actions 5 (« lutter plus efficacement contre les pratiques fiscales dommageables, en prenant en compte la transparence et la substance ») et 8 (« aligner les prix de transfert sur la création de valeur »). La publication des rapports portant sur ces deux actions en 2014 et 2015 ont rapidement porté leurs fruits en suggérant aux États et leurs administrations de nouveaux modes de pensée et d’analyse. Depuis, les statistiques sont sans appel : on dénombre de plus en plus de contrôles fiscaux portant sur les transactions impliquant des éléments de propriété intellectuelle. Les conséquences financières aussi s’envolent. Les administrations n’hésitent plus à réclamer des montants parfois astronomiques, considérant que l’essentiel de la valeur de certaines entreprises ou activités réside dans les actifs incorporels que celles-ci détiennent. C’est ainsi que l’IRS (encore elle) a réclamé 1.5 milliards d’impôts additionnels au groupe Amazon au titre de la cession de la marque, de noms de domaine et de logiciels à la filiale luxembourgeoise, en considérant que la valeur réelle de ces actifs était treize fois supérieure à celle initialement calculée par le groupe.

 

Vous citez les groupes GSK, Amazon. Doit-on en déduire que ce phénomène ne touche que les grandes entreprises ?

Ce serait une erreur de le croire. Dans la presse économique comme dans la presse en général, on aime les gros titres et quand les affaires touchent des personnes célèbres. En réalité, ces affaires ne forment que la partie émergée de l’iceberg. Elles témoignent cependant parfaitement du phénomène que l’on décrivait plus haut, à savoir la volonté de plus en plus ferme des administrations fiscales d’appréhender avec plus de célérité les transactions impliquant des éléments de PI. Le contentieux en France me semble plus révélateur et les dernières décisions rendues en la matière portaient sur des PME ou des entreprises de taille intermédiaire. Les conséquences sont certes plus faibles mais ramenées à la taille de l’entreprise, elles sont tout autant dévastatrices.

 

Quels sont les points d’attention sur lesquels les entreprises devront désormais se focaliser ?

Sur les recommandations de l’OCDE, les États conditionnent désormais le bénéfice de régimes fiscaux de faveur à l’exercice des activités ayant contribué à la création de l’élément de propriété incorporel sujet à ce dispositif. Ceci signifie que l’on ne peut désormais plus, dans beaucoup d’États, déconnecter le régime fiscal de ce qu’il convient d’appeler « la substance », c’est-à-dire la combinaison des ressources humaines, matérielles et financières qui donnent naissance à l’élément de valeur. Par cette avancée, l’OCDE (et derrière elle, les États du G20) crie haro sur les montages qui conduisaient à loger les éléments de propriété intellectuelle dans des « boîtes aux lettres » à l’étranger (ou communément appelées des « IP boxes ») c’est-à-dire des entreprises dépourvues de toute substance, dont le seul objet consistait à héberger ces actifs. C’est une mesure de bon sens, certes, mais qui déjà a conduit certains États à abroger leurs régimes de faveur, à l’instar du Luxembourg ou de Malte. Le régime de faveur français applicable aux cessions et concessions de brevets, d’inventions brevetables et de leurs améliorations est aussi menacé. Il devrait normalement disparaître en sa forme actuelle avant 2021 et devrait être fermé à tout nouveau contribuable ou toute nouvelle transaction à compter de 2018. Cependant, ces avancées ne mettent pas un terme au chalandage fiscal. Les États sont toujours libres de créer des régimes fiscaux de faveur à condition que ceux-ci prévoient spécifiquement que leur octroi soit expressément lié à l’exercice d’activités réelles en local. C’est ainsi que l’OCDE a d’ores et déjà validé les régimes anglais, irlandais et suisse, lesquels prévoient des taux d’imposition très bas, dès lors que les activités de recherche et développement sont réellement réalisées en leurs frontières. Il devient donc impératif pour les entreprises de vérifier que l’architecture de leurs opérations coïncide avec leur stratégie fiscale.

 

 


¹ Article 39 terdecies du Code général des impôts
² Disponible sur https://www.oecd.org/fr/ctp/PlanActionBEPS.pdf


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