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Le nouveau régime de faveur applicable aux brevets et aux droits de propriété industrielle assimilés – Paroles d’experts

Publié le lundi 18 novembre 2019
e nouveau régime de faveur applicable aux brevets et aux droits de propriété industrielle assimilés. Fraude et évasion fiscale : votre PI scrutée à la loupe ?

Pour aller plus loin, l’IEEPI et Terence Wilhelm vous proposent la formation suivante :


 

Paroles d’experts : Terence Wilhelm.

L’IEEPI donne la parole à ses experts, aujourd’hui Terence Wilhelm, Avocat et fondateur du cabinet CARA Société d’Avocats, spécialisé en fiscalité internationale, prix de transfert et fiscalité de la propriété intellectuelle.

Il nous propose une analyse sur :
Le nouveau régime de faveur applicable aux brevets et aux droits de propriété industrielle assimilés

L’article 37 de la Loi de finances pour 2019, codifié à l’article 238 du Code général des impôts, a profondément modifié le régime fiscal français de faveur applicable aux brevets et certaines autres inventions. A partir du 1er janvier 2019, ce dispositif spécial s’est calé sur les recommandations de l’OCDE qui, au titre de son plan d’action visant à lutter contre « l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices », enjoint les Etats à conditionner l’application d’un régime fiscal de faveur à la réalisation effective des activités et des dépenses de R&D ayant directement contribué à la création de l’invention. Mais si ce nouveau dispositif a certes gagné en attractivité, il s’est aussi durci et perd par la même occasion en flexibilité.

 

Pourquoi était-il nécessaire de réformer la fiscalité des brevets et des inventions assimilées ?

Notre ancien régime fiscal dit de faveur, visé à l’article 39 terdecies du Code général des impôts, souffrait de deux écueils majeurs. D’une part, le taux d’imposition à 15% applicable aux produits de cession et concession de brevets et certaines autres inventions, manquait d’attractivité par rapport à certains de nos voisins européens. Même s’il permettait une économie réelle d’impôt par rapport aux taux de droit commun (alors de 33,33%), il peinait à exister à côté des régimes néerlandais, irlandais ou belge. D’autre part et surtout, il pouvait permettre à des entreprises de sous-traiter les efforts de R&D à l’étranger, tout en profitant en France d’un taux d’imposition réduit. C’est cette déconnection entre le bénéfice du régime de faveur dans un Etat donné et la déduction des coûts de R&D dans une autre juridiction, qui a été mise en lumière par l’OCDE dans le cadre de ses travaux visant à lutter contre les pratiques fiscales dites « dommageables », c’est-à-dire celles qui créaient entre les Etats une situation de concurrence fiscale néfaste. L’OCDE a dès lors mis au ban le régime français, au motif que celui-ci ne conditionnait pas le bénéfice du régime de faveur au fait de supporter les dépenses de R&D ayant conduit à la création de l’invention. Certes, nos partenaires étaient nombreux à être placés dans la même situation. Mais ceux-ci ont réagi avant nous, en revisitant leur régime fiscal de faveur pour le concentrer sur les brevets et inventions assimilées, et surtout en intégrant l’approche dite de « nexus ».

 

Justement, on entend souvent cette terminologie de « nexus » ; de quoi s’agit-il exactement ?

Plutôt que de « nexus », on pourrait faire référence à la « théorie du lien ». Derrière la formule mystique se cache en effet l’impérieuse nécessité de corréler le bénéfice d’un régime fiscal de faveur au fait de supporter dans le même Etat et par le même contribuable, les efforts ayant conduit au développement de l’actif, ou de l’opération qui fait l’objet de ce régime fiscal de faveur. Pour le dire de manière plus simpliste, le nexus est l’arme que l’OCDE a dégainée contre les entreprises « boîtes aux lettres », les coquilles vides que l’on vu fleurir dans certains Etats où les actifs incorporels (brevets, marques principalement) étaient logés pour bénéficier du régime fiscal de faveur applicable dans cet Etat, sans qu’aucune ou très peu de dépenses de R&D n’y aient été supportées. Bon nombre de schémas fiscaux visaient en effet à héberger les activités de R&D dans des Etats à forte fiscalité, en les rémunérant a minima ; et une fois le brevet ou la marque exploité, faire remonter les produits de cession ou concession entre les mains d’un propriétaire établi dans un pays à plus faible fiscalité. L’opération était donc optimale : les coûts étaient supportés dans des pays où l’impôt était fort, et les bénéfices étaient captés dans des pays où l’impôt était faible. Le ratio nexus entend ainsi combattre cette déconnexion en introduisant un ratio d’assujettissement dans les régimes fiscaux de faveur. Dans le dispositif français de l’article 238 du Code général des impôts, ce ratio d’assujettissement est égal aux dépenses de R&D supportées directement par l’entreprise ou celles sous-traitées à des entreprises non liées, rapportées sur le total des dépenses de R&D (en ce y compris donc celles sous-traitées éventuellement à des entreprises du même groupe, alors que celles-ci sont justement non captées au numérateur).

 

A part ce ratio nexus, d’autres changements sont-ils à observer par rapport au précédent régime de faveur ?

Parce qu’il est d’essence internationale, le ratio nexus a eu tendance à concentrer l’attention sur lui et donc, à occulter les autres modifications intervenues par la Loi de finances. Mais en réalité, plus qu’un simple toilettage, c’est une réelle refonte de notre régime fiscal de faveur qui a eu lieu. D’ailleurs, l’ancien article qui le contenait (l’article 39 terdecies du Code général des impôts) n’a pas juste été modifié. Il a été vidé de son contenu et un nouvel article a été spécialement rédigé dans le code pour contenir ce régime de faveur, à savoir l’article 238.

En premier lieu, le champ d’application a été modifié. Parmi les droits éligibles, on retrouve bien sûr toujours les brevets, les inventions brevetables, les certificats d’obtention végétale et les améliorations apportées aux inventions brevetées. Mais un petit nouveau a fait son apparition : il s’agit des logiciels. L’exploitation de ceux-ci pourra ainsi dorénavant bénéficier aussi du régime fiscal de faveur. L’idée de la loi était clairement de faire de la France une terre d’accueil pour les entreprises dont l’objet consiste à développer et commercialiser des logiciels, dont le secteur est en plein essor.

Le calcul du produit de la cession ou concession a également été modifié. Désormais, le calcul devra se faire en deux temps : d’abord il conviendra de calculer un résultat net, en soustrayant des résultats (les redevances perçues, par exemple) l’ensemble des coûts de R&D, de frais de maintenance et autres ; ensuite, ce résultat net sera pondéré par rapport au ratio d’assujettissement, le fameux « nexus ».

Enfin, le taux d’imposition a été ramené à 10%, contre 15% précédemment (hors droits sociaux pour les contribuables personnes physiques), pour replacer la France dans la moyenne européenne et éviter que celle-ci ne soit décrochée dans la course à la concurrence fiscale.

 

Que penser de ce nouveau régime fiscal de faveur alors ?

Pour être totalement franc, je reste perplexe, et pour l’heure c’est plutôt la déception qui domine mon analyse. Sur le champ d’application tout d’abord : avant la rédaction définitive de la loi, Bercy avait publié un sondage, qui permettait aux participants de choisir parmi trois options. Une de celle-ci consistait à faire bénéficier du régime fiscal de faveur une portion des revenus tirés des entreprises qui commercialisent d’elles-mêmes les produits intégrant les brevets, inventions brevetables, COV ou tout autre actif tombant dans le champ, sans que ces actifs ne donnent lieu à une cession ou une concession. L’idée était alors de calculer une sorte de « revenu notionnel », soustrait du prix de vente des produits, et d’imposer cette portion au taux réduit à 10%. Plutôt que cette option, le législateur a préféré étendre le régime fiscal de faveur aux logiciels, qui jusqu’alors étaient fiscalement traités comme tout autre actif et donc, ne bénéficiaient d’aucun traitement particulièrement favorable. A mon sens c’est une erreur. D’abord, le texte actuel manque cruellement de clarté. Il conditionne l’application du régime aux logiciels « protégés par le droit d’auteur », c’est-à-dire nécessairement attachés à un degré d’inventivité. Or, on sait notamment dans les dossiers de crédits d’impôt recherche que cette notion d’inventivité est très souvent mise à mal. Soit tous les logiciels sont alors inventifs, soit aucun ne l’est ! La frontière est très floue. Ensuite, l’instruction administrative parue cet été jette le trouble sur les produits liés à l’exploitation des logiciels qui pourraient être taxés au taux réduit. On s’y perd. Enfin, les entreprises qui exploite elles-mêmes leur invention et les intègrent dans leurs produits devront alors créer des schémas de concession pour pouvoir bénéficier du régime fiscal de faveur. Non seulement une telle structuration peut s’avérer lourde et coûteuse pour certaines entreprises de taille modeste, mais un tel chantier revêt forcément un caractère essentiellement fiscal, et donc frise l’abus de droit.

La mise en œuvre du régime fiscal de faveur s’annonce également complexe. Elle induit une double obligation, déclarative d’une part, et documentaire, d’autre part. Tous les ans le contribuable devra annexer à sa déclaration de résultats un document synthétisant ses calculs permettant de définir le montant de résultat net imposé au taux réduit. Ces calculs s’annoncent relativement complexes quand on lit l’instruction, et toute erreur se paiera nécessairement « cash ». En plus de cette déclaration, le contribuable devra également tenir à disposition de l’administration un rapport plus complet, présentant en détail le schéma, les actifs exploités, l’origine et la nature des coûts de R&D, etc…Ces rapports, pour peu qu’ils s’ajoutent à ceux déjà préparés pour le CIR ou pour respecter les obligations en matière de prix de transfert, ne feront qu’alourdir encore davantage le poids des obligations formelles déjà excessives en France.

Enfin, si le taux de 10% entre dans la moyenne européenne, il faut rappeler qu’à celui-ci s’ajoutent les droits sociaux, faisant gonfler le taux réel d’imposition à 27,2% pour les personnes physiques. A ce niveau-là, j’estime qu’il n’y a aucun intérêt, ou très peu pour les inventeurs personnes physiques, d’activer ce régime fiscal qui n’a de favorable que le nom.

 

Donc c’est un échec…

Non, je ne serais clairement pas aussi abrupte. Le texte va évoluer à la faveur des instructions administratives définitives qui restent encore à paraître et qui seront nourries par l’appel à commentaires qu’avait diffusé l’administration cet été, et jusqu’à la mi-septembre. Rappelons aussi que la France jouit d’une réelle tradition d’attractivité fiscale pour ce qui a trait à l’innovation et la recherche et développement. Regardez le CIR, le CII, ce sont-là de vraies réussites, que d’autres Etats ont tenté par la suite de reproduire. Il faut laisser la chance à ce nouveau régime fiscal de faveur, qui a l’avantage de tenter un alignement sur les régimes étrangers et donc, de tendre vers l’uniformisation, voire peut-être à terme une harmonisation en Europe. Il devrait en outre revigorer le secteur des logiciels et du digital d’une manière plus générale, en offrant des sphères d’optimisation réelles à des acteurs qui jusqu’à présent n’étaient pas concernés. Imaginez quand même que pour certains, le taux d’impôts pourrait passer de 33,33% il y a encore peu, à 10% !

 

Quelle conclusion pour les entreprises disposant de propriété intellectuelle ?

Il y a un message très fort à adresser aux entreprises. Derrière ce nouveau régime fiscal de faveur se dissimule en réalité une vague de fond qui touche à la propriété intellectuelle de manière plus générale et son traitement sur le plan fiscal. En effet, ce régime, qui rappelons-le découle d’une initiative de l’OCDE, s’inscrit aux côtés d’autres travaux de cette organisation, qui notamment militent pour le glissement progressif de la reconnaissance, à des fins fiscales, de la propriété juridique vers la propriété dite « économique ».  Serait ainsi le propriétaire au sens fiscal, c’est-à-dire celui qui serait légitime à percevoir le produit tiré de l’exploitation de la propriété intellectuelle, non pas celui qui est inscrit en tant que tel, mais celui qui, plutôt, exerce les fonctions essentielles qui ont permis de développer, améliorer, maintenir, protéger et exploiter cette propriété intellectuelle. En d’autres termes, les schémas que l’on a vus fleurir ces dernières années, consistant à placer la propriété intellectuelle entre les mains d’une entité basée au Luxembourg, en Belgique, aux Pays-Bas, ou dans des territoires encore plus exotiques, sans qu’aucune activité ne soit réellement exercée là-bas, ont vécu et sont désormais condamnés. Ce régime fiscal de faveur doit donc appeler une vaste réflexion sur la localisation légitime de la propriété intellectuelle, et de là, l’applicabilité de ces régimes fiscaux de faveur. Car si aucune activité de R&D n’est exercée dans les pays que je viens de citer, alors aucun régime fiscal de faveur ne devrait pouvoir être applicable par la même occasion. Ces structurations fiscales ne présenteront dès lors plus aucun intérêt, et au contraire exposeront le contribuable à un risque élevé de rectification. Je milite donc activement pour que les experts en propriété intellectuelle interagissent davantage avec les fiscalistes, pour sécuriser les schémas liés à la PI et protéger les intérêts économiques et fiscaux des inventeurs. Certainement que cela pourrait occasionner des travaux d’analyse en amont de toute opération, mais le gain d’impôts – qui peut être très substantiel ! – vaut bien ces quelques efforts.

 

 


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