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L’investissement dans la PI ne peut marcher que par une volonté politique (Alain Beretz, colloque PFUE / IEEPI)

Publié le jeudi 14 avril 2022

Caroline Dreyer (Conectus) présentant le modèle français des Satt à l’occasion d’une conférence organisée par l’IEEPI. | Par Pascaline Marion (AEF).

Rediffusion avec l’aimable autorisation de AEF info.

 

« Le rôle de la PI dans les interactions entre science et industrie. Quelle perspective européenne ? » : tel était le thème d’une rencontre organisée par l’IEEPI et l’université de Strasbourg le 7 avril 2022 (1), autour de la place croissante de la propriété intellectuelle dans le processus de valorisation des inventions issues de la recherche publique. À quels principaux leviers les États peuvent-ils recourir, pour faciliter la rencontre entre le monde académique et l’industrie ? Comment renforcer la PI, pour augmenter les retombées et favoriser la compétitivité des entreprises européennes ?

L’investissement dans la propriété intellectuelle « ne peut marcher que par une volonté politique », retient Alain Beretz, président de l’IEEPI et ex-président de l’Unistra à l’issue de la conférence européenne du 7 avril 2022, à Strasbourg. « Cette volonté, c’est déjà celle de l’État. Je peux citer, en France, les investissements d’avenir. […] Pour les universités, cette volonté n’a pas toujours été évidente. » Sur le plan des structures de valorisation, « il y a une grande diversité européenne dans les TTO », « une diversité à admettre comme une richesse ».

LA STRUCTURATION DE LA VALORISATION A PROGRESSÉ EN 20 ANS

« En France, la structuration de la valorisation a beaucoup progressé en deux décennies », rappelle la présidente de Conectus Caroline Dreyer. « Il y a eu un ensemble de mesures, avec d’abord la loi sur l’innovation en 1999 », mais aussi « la création des pôles de compétitivité », « des dispositifs incitatifs comme le CIR jusqu’à la loi Pacte. » Si cet environnement a permis « de faire de la valorisation une vraie mission », « les moyens n’étaient pas suffisants et il y avait une absence de masse critique, avec de nombreux opérateurs au niveau territorial, au niveau national, ainsi qu’une absence de démonstration ».

Les Satt ont été lancées avec un triple objectif. Premièrement, il a fallu « muscler les compétences au sein des structures publiques, avec des équipes de professionnels disposant toute la palette d’expertises : en PI, en développement d’affaires, en ingénierie de projet ». Deuxièmement, il fallait s’appuyer sur « une logique de masse critique et donc structurer des hubs d’innovation sur les territoires, qui fédèrent plusieurs acteurs de la recherche publique ». Enfin, troisième point, la nécessité de doter les Satt « des capacités à mettre en oeuvre des stratégies de PI et à développer des technologies permettant de convaincre des investisseurs ».

Les Satt sont « avant tout un dispositif territorial, non pas national, qui crée un affectio societatis fort de par ce travail de proximité, qui permet d’identifier les pépites, ces innovations de rupture dont on sait qu’elles sont l’une des clés de la compétitivité de nos entreprises demain ».

LES SATT AIDENT À DÉFINIR « LA MEILLEURE STRATÉGIE DE PI »

Comme « le réflexe n’est pas encore dans la tête de tous les chercheurs, il y a un sourcing très important conduit par les équipes des Satt », détaille Caroline Dreyer. Ensuite, « nous engageons la démarche de définition de la meilleure stratégie de PI, en fonction d’un développement applicatif, et donc de l’intérêt du marché. Il s’agit de voir, dans la diversité des titres, lequel sera le plus pertinent. »

Ce travail s’effectue « en binôme », « les équipes des Satt apportant leur expertise PI et marché, et s’assurant que le dépôt d’un brevet ne va pas pénaliser l’activité du chercheur ». « Par exemple, on sait que dans le secteur de la santé, pour qu’une entreprise biotech ou pharma dispose d’une jouissance d’exploitation suffisante, il ne faut pas déposer trop tôt. » Autre élément-clé, la « capacité d’investissement en maturation » de la Satt, qui permet « non seulement de renforcer la PI avec des données complémentaires sur le brevet princeps, mais aussi de déposer des brevets d’application, donc de créer un pool qui, autant pour une entreprise que pour une start-up, sera très pertinent ».

« Suite à ces interventions, il y a la question de la voie d’accès au marché et du licensing. S’agit-il de consolider le portefeuille de PI d’une entreprise existante ? Est-ce que la stratégie de création d’entreprise est un modèle viable ? » Sur l’ensemble du processus, « on travaille aussi avec les entreprises », ajoute Caroline Dreyer. « Au niveau des 13 Satt, nous avons toutes mis en place des programmes de co-maturation avec les entreprises identifiées comme les possibles licenciées : nous leur proposons un partenariat gagnant-gagnant le plus en amont possible, pour qu’elles puissent éclairer nos équipes et l’équipe de recherche sur les spécifications, les performances attendues. »

« IL EST ABSOLUMENT NÉCESSAIRE DE MANAGER LA PI »

« Le problème de la PI, c’est qu’on ne peut l’éviter. Et, dans un laboratoire de recherche, il y en a partout », souligne de son côté Christophe Haunold, ex-directeur de TTT, recruté en 2020 par
l’université du Luxembourg pour y créer un TTO. « Le seul choix, pour les chercheurs, est le suivant : soit ils l’ignorent, soit ils sont aidés pour la manager. »

« Il est absolument nécessaire de manager la PI. Sinon, on ne contrôle rien. Et il est alors compliqué de rentrer dans des partenariats et de remplir cette 3e mission [des universités] de transférer les résultats pour qu’ils soient utiles, utilisés, et éventuellement qu’ils génèrent des revenus et aient un impact beaucoup plus large qu’économique. » « Cette mesure, qui est complexe, doit très naturellement intégrer l’aspect social, sociétal, environnemental, conformément aux ODD des Nations unies », fait-il valoir, évoquant là « un enjeu européen » partagé.

EN EUROPE : DES MODÈLES DIFFÉRENTS

Investi au sein de l’ASTP Europe (Association of European Science and Technology Transfer Professionals), Christophe Haunold est aussi expert auprès de la Commission européenne. « Avec le
Joint Research Center, nous travaillons sur l’organisation de métriques et la mise en place d’une base de données internationale annuelle pour suivre ces activités de transfert de PI. Deuxième opération, la DGRI a lancé une consultation et une fabrication de guidelines pour la valorisation des connaissances, ainsi qu’un code de pratiques » destinés aux acteurs des relations science-industrie.

Christophe Haunold en tire plusieurs observations. « Ce que la France a fait avec les Satt, je suis persuadé que c’est une très bonne voie. Ce besoin d’amélioration des résultats pour les rendre attractifs, transférables, source potentielle de création de spin-off, nous le voyons partout. » Toutefois, le mode d’organisation est « très dépendant des écosystèmes ».

En outre, ce démarrage ne peut se faire dans les mêmes conditions partout. « Le Luxembourg est un très bon endroit pour tester des choses », souligne l’ancien président du Réseau Curie. « Il y a une vraie volonté politique. Le pays évolue, depuis une activité bancaire, fiscale, pour construire la valeur de demain : ce sont des industries – par exemple autour de l’espace – et l’université, la recherche publique. » Le Luxembourg connaît « une dynamique intéressante et forte, facilitée parce qu’il y a des moyens financiers », « ce qui n’est pas le cas dans l’Est de l’Europe ».

« BEAUCOUP D’ÉTABLISSEMENTS N’ONT PAS DE POLITIQUE DE PI »

Néanmoins, tous les acteurs sont confrontés « à la même problématique : comment soutenir ces activités de PI », relève Christophe Haunold. « Il faut avoir des offices de transfert bien structurés, bien dotés, bien formés, qui ont une mission très claire. » Et, en termes de modèle, l’enjeu est double : « comment structurer des outils qui doivent aider entreprises et chercheurs, et comment leur donner les moyens de le faire. Cela passe par la définition d’une politique », recommande Christophe Haunold. « Beaucoup d’établissements de recherche aujourd’hui n’ont pas de politique. Ou elle n’est pas écrite, ou elle est vieille, ou elle n’est pas efficace. »

Derrière cette « politique PI, ou de partenariat, de création de spin-off », « l’implémentation fait appel à une série de questions très techniques, parfois complexes, éthiques », poursuit-il. « Quel est l’objectif ? Pourquoi fait-on du transfert de PI vers l’industrie ? Est-ce pour soutenir le développement économique ? Pour faire de l’argent ? Pour montrer aux tax payeurs qu’il y a un retour sur investissement ? »

Enfin, « il faut se poser la question » de savoir si la création de spin-off est « un bon indicateur ». Cette pratique est une autre « question partagée au niveau européen : quels sont les schémas de partage de valeur, notamment pour une université ou un centre de recherche ? Est-ce que je prends des parts, ou ce n’est pas mon métier ? Il n’y a pas de réponse unique. »

TENSIONS ET ÉMOTIONS

Cette rencontre autour de la « PI » a mis en exergue « le facteur humain », ainsi que plusieurs sujets d’affrontement. « Derrière un standard mis à disposition [de l’ensemble de l’industrie], des accords de licence doivent être conclus à un moment donné. On atteint là le summum de la difficulté, en termes d’émotions », témoigne Sophie Pasquier (département licensing de Philips), qui préside « LES France » (Licensing Executive Society (2)). Dans le système de normalisation, « un transfert de technologies massif a été fait, dès le départ : les académiques, les industries ont investi dans un standard. L’industrie s’en empare, cela devient un succès mondial : comme le standard des Codec audio et video […] ou les standards de télécommunications comme la 2G, la 3G, la 4G, etc. Avec des enjeux économiques énormes. »

La question de la rétribution est source de nombreux contentieux. « La Commission européenne s’est emparée de cette problématique, à travers une mission d’experts en matière de licences, de brevets essentiels à des standards et de licences Frand (Fair, Raisonable, and Non-Discriminatory). Certains représentant le monde des détenteurs de brevets, d’autres, les utilisateurs », rapporte-t-elle. « Plus d’une trentaine de propositions ont été dégagées dans le rapport d’experts, qui tend à démontrer qu’il est compliqué de s’entendre sur ce sujet. […] Des tensions très fortes apparaissent. »

« Début février, Thierry Breton [commissaire européen pour le marché intérieur] a présenté la nouvelle stratégie européenne en matière de création de standards technologiques et industriels », « en souhaitant que l’Europe redevienne le standards setter [qu’elle a été], si on repense aux standards de télécommunications [2G, etc.]. Maintenant, pour la 5G, les entreprises européennes sont largement minoritaires », pointe Sophie Pasquier. Par ailleurs, « la Commission prévoit de sortir bientôt une nouvelle régulation, pour faciliter l’attribution des licences Frand (liées aux standards) ». « Il faut faire attention à ne pas mettre trop de contraintes sur les détenteurs de brevets, pour qu’ils continuent à offrir des licences à des conditions Frand », conclut-elle.


(1) Avec une trentaine de participants en présentiel, et plus de 300 à distance. Cet événement était organisé dans le cadre de la PFUE.
(2) Comprenant 460 membres, l’association vise à faciliter le partage des idées entre représentants de l’industrie, du monde académique, et des praticiens en PI.

 

Sources : AEF info

IEEPI