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Les enjeux juridiques des NFT et des métavers au regard de la propriété intellectuelle – Paroles d’experts

Publié le vendredi 10 février 2023
Les enjeux juridiques des NFT et des métavers au regard de la propriété intellectuelle

Pour aller plus loin, l’IEEPI, Camille DUPUCH MINARD et Fabrice BIRCKER vous proposent la formation suivante :


 

Paroles d’experts : Camille Dupuch Minard et Fabrice Bircker

L’IEEPI donne la parole à ses experts, aujourd’hui Camille Dupuch Minard (Conseil en Propriété Industrielle) et Fabrice Bircker (Responsable Plasseraud IP Internet & Data).

Ils nous proposent une analyse sur :
« Les enjeux juridiques des NFT et des métavers au regard de la propriété intellectuelle »

 

Si l’année 2021 a été marquée par l’effervescence qu’ont pu procurer pour le grand public la découverte des NFT et l’aube des métavers, 2022 aura été l’année de la crise des cryptomonnaies et des NFT, ainsi que celle des difficultés rencontrées par Meta Plateforms, Inc avec Horizon Worlds[1].

Plutôt que de marquer le point d’arrêt des NFT et des métavers, sans doute assiste-t-on à l’explosion d’une bulle susceptible de remettre de l’ordre et de la rationalité dans un environnement qui pouvait se caractériser par nombre d’excès[2].

En effet, passés l’effet de nouveauté et la vague spéculative, force est de constater que des projets porteurs de sens et dotés de réels enjeux sociaux et économiques s’adossent aux NFT et aux métavers. Par exemple :

  • l’utilisation des NFT pour suivre des produits, et ainsi s’assurer de leur authenticité,
  • la certification de documents grâce aux NFT,
  • la mise en œuvre de programmes de fidélité moins intrusifs au regard de l’utilisation faite des données personnelles des consommateurs,
  • l’utilisation de métavers pour entrainer à distance des chirurgiens ou des ingénieurs à réaliser des gestes techniques.

Dans cet environnement où les enjeux vont croissants (au point d’être vitaux si l’on reprend l’exemple de l’utilisation du métavers pour former des chirurgiens), l’encadrement efficient des projets par la propriété intellectuelle et l’adaptation des stratégies de protection deviennent cruciaux.

 

Pourquoi les métavers et les NFT représentent de nouveaux challenges au regard du droit de la propriété intellectuelle ?

Le numérique a toujours représenté un défi pour les praticiens du droit de la propriété intellectuelle, dans la mesure où c’est un univers où la contrefaçon est par définition facilitée. En l’espèce, il s’agit d’un environnement où la copie est très aisée, infinie et présente quasiment les mêmes caractéristiques et qualités que l’exemplaire original. Du point de vue plus spécifique du droit d’auteur, il s’agit également d’un univers où le droit de paternité, c’est-à-dire le droit pour un auteur d’être cité et reconnu pour son travail, est souvent nié.

Le NFT (Non-Fungible Token ou Jeton non fongible) en tant qu’identifiant numérique unique ne pouvant être copié, remplacé ou subdivisé, et inscrit de manière irrévocable dans une blockchain, permet de certifier l’authenticité d’une version d’un bien virtuel. En cela, le NFT est révolutionnaire car il permet de réintroduire le concept de rareté et d’unicité dans un espace qui méconnaissait, sciemment ou non, ces notions.

Cependant, ce qui peut apparaitre en premier lieu comme une panacée se révèle en fait beaucoup plus complexe et porteur à son tour de nombreuses interrogations auxquelles le droit de la propriété intellectuelle devra répondre dans le futur.

Pour ne citer que quelques-unes des questions soulevées : la nature même du NFT, qui n’est pas l’œuvre ou le produit virtuel en tant que tel, ni même son support, amène à s’interroger sur l’applicabilité de la règle de l’épuisement des droits aux opérations de commercialisation de NFT sur les plateformes d’échanges ou dans le métavers, dans l’hypothèse où les produits virtuels objets du NFT en question sont bien protégés par un ou plusieurs droits de propriété intellectuelle.

En France, la règle de l’épuisement du droit de distribution pour le régime commun du droit d’auteur (mais cette règle existe pour les autres droits de propriété industrielle) est définie à l’article L. 122-3-1 du Code de la propriété intellectuelle et prévoit qu’en cas de « première vente » dans l’Espace Économique Européen (EEE) d’un « exemplaire matériel » d’une œuvre protégée par droit d’auteur avec l’autorisation de l’auteur, ce dernier ne peut plus s’opposer à une revente de l’exemplaire concerné au sein de l’EEE. D’où un débat actuellement sur la nature même du NFT et sa qualification ou non « d’exemplaire matériel » du bien virtuel, la question n’est pas seulement théorique tant sa réponse pourrait impacter voire modifier le marché naissant des NFT, si le titulaire de droit peut à tout moment s’opposer à la revente dudit jeton.

La question de la responsabilité des plateformes est également mise en avant dès lors que plus ce marché grandit et plus le nombre de contrefaçons de droits augmentent. Une réflexion sur le régime de responsabilité applicable aux plateformes de vente des NFT, qui est parfois loin de correspondre à la définition classique du simple hébergeur, est amorcée.

Enfin, l’autre grande difficulté pour les praticiens du droit est celle de la territorialité, ou plutôt de l’absence de territorialité de ces nouveaux marchés. En effet, les droits de propriété intellectuelle étant par définition des droits territoriaux, mis à part le droit d’auteur qui s’interprète de manière différente selon les pays, leur valorisation et leur défense sont complexifiées sur des marchés comme celui des NFT ou des métavers, qui sont virtuels, sans aucune frontière, et à vocation mondiale.

 

Quelles stratégies doivent dès lors être adoptées par les titulaires de droits ?

Les NFT et les métavers de manière générale représentent de formidables opportunités pour les titulaires de droits, car ils sont avant tout de nouvelles sources de financement et de nouveaux relais de croissance. Toutefois, comme tout nouveau contexte, cela nécessite l’adoption de stratégies d’adaptation et surtout d’anticipation de la part des titulaires.

Deux points principaux sont à relever :

  • Pour les titulaires de droits d’auteur, la structuration de l’environnement contractuel est primordiale, dans la mesure où s’agissant d’un nouveau mode d’exploitation, ce dernier doit être précisé de manière spécifique dans les contrats de cession ou d’exploitation de droits.
    De fait, si les NFT représentent une source de financement direct pour les titulaires de droits, et donc in fine une aide à la création, encore faut-il que ce mode d’exploitation soit expressément prévu et encadré dans les contrats y afférant.
    Ainsi, si les contrats futurs doivent désormais prévoir ce mode d’exploitation, les contrats en cours nécessitent une révision afin de s’adapter au mieux à la réalité de ces nouveaux marchés.
  • Pour les titulaires de droits de propriété industrielle, et plus spécialement les titulaires de droits de marque, une évolution du portefeuille est à envisager, premièrement pour valoriser lesdits droits sur ces nouveaux marchés, mais également pour les défendre.
    En effet, si les Offices et les Cours tendent actuellement à reconnaitre une similarité entre les biens réels et les biens virtuels vendus sous forme de NFT sur les plateformes et/ou dans les métavers, il convient désormais, en plus d’exercer une veille active sur lesdites plateformes et métavers, d’adapter les portefeuilles en faisant évoluer les libellés des marques en question, notamment en visant les classes 9 et 35, avec des libellés toujours rattachés à la notion de « fichiers numériques téléchargeables ».

Les nombreuses affaires qui aujourd’hui occupent le devant de la scène juridique démontrent toutes l’absolue nécessité d’une anticipation à la fois contractuelle et au regard de la structure même du portefeuille de droits.

 

Comment lutter contre les NFT contrefaisants ?

Tout d’abord, il faut souligner qu’il est possible – et même vivement conseillé ! – de mettre en place des surveillances destinées à détecter les usages non autorisés de ses droits de PI sur le Web 3, en particulier sur les places de marché de NFT (telles que Opensea.io ou Rarible.com) et auprès des métavers (tels que Decentraland.org ou Sandbox.game).

Opter pour une telle stratégie de surveillance est particulièrement recommandé car la contrefaçon s’avère endémique sur certaines places de marché de NFT[3].

De plus, certains NFT contrefaisants peuvent être utilisés dans le cadre d’escroqueries visant à réclamer des paiements en cryptomonnaies en usurpant l’identité d’un tiers, le plus souvent en utilisant frauduleusement sa marque. Dans la mesure où ce type de paiements, en ce qu’ils sont réalisés via une blockchain, ne sont pas révocables, les conséquences financières pour les victimes peuvent être désastreuses.

Une fois les NFT litigieux identifiés, la solution la plus pragmatique et économique consiste dans de nombreux cas à adresser des notifications requérant des plateformes sur lesquelles se trouvent les contenus litigieux, qu’elles les retirent.

Par ailleurs, l’on assimile souvent à tort la blockchain, et partant les NFT, à l’anonymat. En réalité, il est tout à fait possible de procéder à des investigations et, au besoin, à la prise de mesures judiciaires, pouvant permettre de connaître l’identité du créateur ou du détenteur d’un NFT litigieux. En conséquence, pour les atteintes les plus graves, l’arsenal traditionnel de règles permettant d’agir contre les contrefacteurs pourra être mis en œuvre directement contre ces derniers.

 

Des évolutions du droit de la PI sont-elles nécessaires ?

Nécessaires, sans doute que non, parce que beaucoup de textes sont rédigés de manière suffisamment large pour s’appliquer au Web 3. En effet, contrairement à ce que l’on peut parfois entendre, les métavers ne sont pas des zones de non-droit.

Cela étant des adaptations des règles de droit seraient souhaitables. En effet, le Web 3 fait apparaître des situations inédites qu’il serait bien plus facile d’appréhender par une règlementation spécifique.

Deux illustrations en témoignent.

Depuis un peu plus d’un an l’on observe un très fort développement des « noms de domaine » dans la blockchain. Il s’agit de NFT ressemblant à des noms de domaine (tel que exemple.eth), et dirigeant vers une ressource numérique, comme un site Internet (sous certaines conditions techniques), un wallet[4] ou encore identifiant un utilisateur dans l’environnement du Web 3 ou sur des réseaux sociaux.

A l’instar du cybersquatting apparu à la fin des années 1990 lors de l’adoption d’Internet par le grand public, l’émergence des « noms de domaine » dans la blockchain s’accompagne de nombreuses réservations spéculatives, voire frauduleuses.

Pour réguler le sort des noms de domaine « traditionnels » en tenant compte à la fois i) des intérêts tant de leurs réservataires que des titulaires de marques, ii) de la nature transfrontalière de l’Internet et iii) de la nécessité de trancher les litiges rapidement, à moindre coût et au moyen de décisions aisément exécutoires, les parties prenantes de l’Internet ont élaboré en 1999 les Principes Directeurs de la procédure UDRP (Uniform Domain-Name Dispute-Resolution Policy).

Dans la mesure où les « noms de domaine » dans la blockchain ne sont pas des noms de domaine traditionnels et ne sont donc pas régulés par l’ICANN, la procédure UDRP ne leur est pas applicable.

En conséquence, à défaut de parvenir à un accord amiable, les titulaires de marques qui estimeraient qu’un « nom de domaine » dans la blockchain porte atteinte à leurs droits, n’ont d’autre choix que de recourir à des procédures judiciaires.

Or, compte tenu, notamment, des difficultés et des coûts liés à l’identification du titulaire du « nom de domaine » dans la blockchain litigieux et aux situations d’extranéité, cette situation est loin d’être optimale, et mériterait donc d’être régie par des règles comparables à celle de la procédure UDRP.

A cet égard, il est intéressant de noter que plusieurs acteurs de l’industrie des « noms de domaine » dans la blockchain se sont récemment regroupés au sein d’une organisation dénommée Web3 Domain Alliance, laquelle a notamment vocation à réguler cet environnement[5].

Deuxième exemple qui illustre les limites de certains aspects des règles actuelles : comment déterminer le juge compétent et la loi applicable en cas d’actes de contrefaçon dans un métavers ?

En effet, dans un tel cas de figure, les critères de rattachement territoriaux du litige peuvent s’avérer difficiles à mettre en œuvre, voire inopérants.

Par exemple, certains métavers prennent la forme d’une Organisation Autonome Décentralisée[6], sont ouverts à des utilisateurs du monde entier et permettent des paiements dans une cryptomonnaie afin d’acheter des biens immatériels qui n’ont par nature pas vocation à être livrés à une adresse postale. Dans une telle situation déterminer un territoire national auquel rattacher le litige tient de la gageure, sauf à appliquer systématiquement la règle de l’accessibilité.

En attendant d’éventuelles adaptations de la réglementation destinées à améliorer la situation des titulaires de droits de PI lorsqu’ils font valoir leurs droits, les juristes devront faire preuve de pragmatisme et d’inventivité.

 

 

[1] Il s’agit du métavers que Meta Plateforms Inc. (anciennement Facebook Inc.) construit  https://fr.wikipedia.org/wiki/Horizon_Worlds

[2] En particulier financiers, certains NFT s’étant vendus pour plusieurs millions d’Euros.

[3] Voir par exemple “More Than 80% of NFTs Created for Free on OpenSea Are Fraud or Spam, Company Says”, https://www.vice.com/en/article/wxdzb5/more-than-80-of-nfts-created-for-free-on-opensea-are-fraud-or-spam-company-says

[4] Il s’agit d’un dispositif qui stocke et gère les clés publique et privée permettant de réaliser des opérations sur la blockchain, et notamment d’acheter des NFT dans une cryptomonnaie et de les détenir.

[5] https://www.web3domainalliance.com/

[6] Ces organisations sont également dénommées DAO, en anglais Decentralized Autonomous Organization. Il s’agit d’un groupement de personnes, n’ayant souvent pas de personnalité morale, et dont les règles de fonctionnement sont régies par un programme informatique implémenté dans la blockchain.

 

 


Pour aller plus loin, l’IEEPI, Camille DUPUCH MINARD et Fabrice BIRCKER vous proposent la formation suivante :

 

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